Tableau 1

Tableau 1

Tableau 1

Ce tableau amorça une étape nouvelle. Un soir, j’étais seule, je suis montée dans l’atelier avec deux pommes, une jolie assiette verte et un verre de vin. J’ai disposé le tout sur un morceau de toile de coton crue et je me suis mise avec mes pinceaux, avec l’envie de « reproduire » ce que j’avais sous les yeux. L’éclairage était artificiel et donc ne changerait pratiquement pas. Le vin s’évaporerait bien un peu, et les pommes pourraient se rabougrir ; mais cela prendrait un certain temps ; j’aurais peut-être déjà achevé le tableau.  C’était un peu comme un défi ; surtout que j’étais consciente que je ne voulais pas du tout faire de l’hyper-réalisme mais plutôt quelque chose de pictural, genre Chardin ou Cézanne.

Ce qui s’est joué n’a pas été tellement du côté des pinceaux, mais du côté des yeux ; j’ai vraiment regardé, regardé, regardé. J’essayais d’appliquer la couleur qui m’était suggérée au milieu de mille reflets différents. La toile, que j’avais préparée moi-même, était suffisamment absorbante pour que je puisse appliquer des couches successives sans avoir à attendre.

J’ai du y passer deux longues soirées et le résultat était lumineux, appétissant, sobre aussi. Il fut le déclencheur de toute une longue série de natures mortes (pas mortes du tout, très vivantes) où la matière et les reflets de couleur de chaque objet s’interpénétraient de façon savoureuse.

Fruits, poteries, toiles…

 

Ma palette changea de façon radicale. Jusque là, les bleus-verts-violets dominaient. Des tons que l’on pourrait qualifier de froids mais que je qualifierais de « célestes » ou plutôt « d’oniriques ». Là, avec ces modèles, produits de la terre, souvent posés à même le bois de la table ou sur une toile beige neutre, j’abordais des tons plus « terreux ». Le mot est laid, mais il faut le prendre comme opposition à céleste. Tons de la terre, de la Terre, « fruits de la terre et du travail des hommes », dans toute sa richesse et splendeur. Des jaunes chauds, des verts habités (1) de rouge, des brillances, des reflets complémentaires.

Et je sentais qu’en même temps, il y avait comme une recherche de vérité, hors de la connaissance de prime abord. Toute cette période fut accompagnée de l’étude de peintres en recherche d’objectivité : Cézanne, Antonio Lopez. Je restais fascinée par le commentaire que raconte Rainer Maria Rilke dans ses lettres à propos de Cézanne ; « Melle V. me dit : là Cézanne a laissé la toile sans peinture parce que là il ne savait pas… ». J’entendais là la nécessité de ne jamais mettre une couleur de façon gratuite, mais toujours « je mets ce vert là parce que là j’ai vu ce vert là, même si a priori je sais que c’est rouge ».

Vérité – objectivité. Cézanne et A.Lopez donnaient des résultats tellement différents. Le premier était poussé par la vérité de la couleur, dans sa pleine vitalité. Il ne revenait pas dessus s’il savait que c’était le vrai en ce moment précis, avec cet éclairage précisément. Le temps passait sur les objets, Cézanne en était conscient mais il ne s’arrêtait pas aux transformations dues à cette fugacité. La recherche de A.Lopez est autre. Il aurait aimé capter l’objet dans sa plus totale « objectivité », en dehors du temps qui passe, une recherche éperdue, désespérée, qui ne finit qu’avec la mort. Le fruit se tale et pourrit ; l’homme meurt. A trop chercher l’objet hors de sa finitude, comme quelque chose d’immuable et d’éternel, on n’aboutit qu’à la mort. Et la désespérance.  Le coing qu’il peint ne peut finir que comme un petit trognon tout pourri et sa femme dans la baignoire comme un cadavre glacial.

Dans ma sagesse de femme qui n’aime pas les extrêmes, j’en avais tiré la conclusion qu’il fallait saisir une synthèse des différents moments de l’objet (le temps et l’éclairage provoquant forcément des changements), pas forcément les plus flatteurs, avec des zones d’ombre qui peuvent être bien intéressantes, à côté des zones lumineuses. Un peu comme quand on fait la biographie d’un personnage avec ses périodes de grandeurs, ses périodes de troubles. La vie est contraste. Rien de plus ennuyeux que les hagiographies encensoirs.

 

CONTRASTE. Jamais je n’aurais assez répété ce mot à mes élèves. Du contraste, s’il vous plait. Sinon on s’ennuie. Sinon c’est plat, sinon on ne comprend pas. Certes il peut y avoir quelques œuvres tout en tons pastels et dans la même gamme, qui soient très belles, très décoratives. Un petit côté suranné, une vision comme estompée par le temps qui a passé, par une brume de rêve, par des sentiments de molle douceur.

Mais si vous voulez transmettre la vie, l’énergie vitale, ce qui est là présent comme est présent le Seigneur Fils du Dieu Vivant, il faut du CONTRASTE. Contraste dans les valeurs, entre noir et blanc, contraste dans la couleur.

Ce n’est pas pour rien que des générations et des générations ont appris à dessiner et peindre avec des exercices en noir et blanc… et si cela a été oublié, cela reviendra. On ne peut y échapper, même si notre art est abstrait. La force de la couleur de Van Gogh vient de ses heures passées à dessiner et dessiner avec la craie noire.

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