Tableau (2)

Tableau (2)

Tableau (2)

 

C’est un tout petit tableau, d’un format un peu original, allongé, dans le sens de la hauteur. Une tasse bleue, un verre à pastis avec un fond d’eau. Le fond est brun. C’est tout.

 

Déjà par ces petits détails, il défie un peu les lois traditionnelles. On sait qu’on a intérêt à des fonds de tons froids parce que le froid s’éloigne. Peu importe : le fond n’est là que pour vivifier cette porcelaine bleue, un bleu marine profond. Et si cette tasse est là très forte, très brillante, très présente, ce poids est contrebalancé par le mystère  tout simple qui se joue dans la transparence du verre et de l’eau, de l’eau à travers le verre et le fond à travers de l’eau.

 

TRANSPARENCE. J’ai toujours été fascinée par la transparence, mais pas de la même façon que l’est le profane, ou même le débutant, en peinture. Pour lui, c’est quelque chose d’impossible parce que justement cela ne se voit pas, comment peindre quelque chose qui n’a  pas de matérialité. Admiration du profane qui a l’impression qu’on pourrait « le toucher ! »

Pour moi, ça a été longtemps un extraordinaire exercice de peinture parce que justement là, seuls les yeux servent. Et la peinture est réellement ce qu’elle devrait être : des tâches de couleurs mises côte à côte, sans relations entre elles, une sorte de patchwork qui ne prend tout son sens que, avec le recul, dans la vision globale de l’ensemble. Je recommandais toujours à mes élèves dans le cas d’un vase de fleurs transparent : « oublie que c’est un pot, oublie qu’il y a de l’eau dedans, oublie que ce sont des tiges ou des feuilles, ou le fond de derrière. Regarde et mets sur la toile ce que tu vois ». Et c’est presque comme un miracle: les touches bariolées posées ici et là, deviennent un vase, une tige, le bord de la table..

Le merveilleux du transparent aussi, c’est que même s’il y a la transparence totale parce que le verre est propre, il se forme toujours des déformations, dues à l’épaisseur du verre ou dues à la diffraction dans l’eau. Et il faut bien reconnaître que c’est aussi cela qui est fascinant ; pour peindre les déformations formées par l’épaisseur d’un verre, il faut vraiment s’abandonner totalement et accepter l’inacceptable : le bord horizontal d’une table qui remonte verticalement en courbe vers le ciel, une tige de fleur coupée au niveau de l’eau, sans point de rencontre entre les deux morceaux. On veut trop souvent malheureusement peindre des choses « qui tiennent debout », qui soient « réalistes », alors que continuellement la nature et les objets nous surprennent. Je n’ai jamais réussi vraiment à convaincre mes élèves que si je veux peindre un vase en porcelaine blanche, celle-ci paraîtra d’autant plus blanche que je la peindrais en gris foncé à l’endroit où brillera sa brillance. C’est vrai aussi que j’ai toujours eu beaucoup de mal à les convaincre que la seule manière de mettre plus de soleil dans un tableau, c’est d’y peindre de fortes et larges ombres. Contraste !

En dehors du plaisir purement pictural de peindre la transparence, c’était aussi le contraste de la matérialité et l’immatérialité qui m’intéressait. J’aime dans le Christianisme cette figure emblématique de la Vierge. Cet équilibre entre la matérialité de l’humanité et une nature transparente, comme immatérielle, transcendée par le feu divin. La Vierge pour nous est le modèle ; elle est la transparence même parce que justement elle s’est faite transparence à la volonté divine. Dieu a osé lui faire porter son Fils. Mais elle est femme de chair, malgré tout. Si la conception est divine, elle portera son enfant neuf mois et accouchera comme toute femme. Et le Fils de Dieu se fera chair en elle.

J’aime cette vision du Purgatoire comme un lieu où notre nature alourdie par le péché devient transparente pour laisser passer la vision de Dieu. Comme une vitre si sale, qu’elle ne laisse même plus passer les rayons du soleil ; alors on ferait un nettoyage : d’abord les toiles d’araignées, puis la couche superficielle de poussière, puis les chiures de mouches, puis la crasse collée par des émanations grasses… et puis un jour elle laisse passer la lumière… elle pourra même briller, pourquoi pas, dans le face à face ultime.

 

KT 2000

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